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Protocole ou art protocolaire

Inspiré par les protocoles scientifiques ou de la recherche, né avec l’art conceptuel, le protocole artistique est un ensemble de règles que donne(nt) un ou plusieurs artistes pour réaliser leur(s) œuvre(s).

Synonymes : « mode d’emploi », « marche à suivre », « recette », « feuille de route ».

Un padlet en document ressource

Fait avec Padlet

Trois stoppages-étalon de Marcel Duchamp, en 1913

S’éloignant de l’accident impromptu, Marcel Duchamp établit un protocole précis et scientifique :
« Un fil de un mètre tendu à un mètre de hauteur, est lâché au-dessus d’un plan horizontal. L’opération est accomplie trois fois à chaque fois, les fils sont collés exactement tels qu’ils ont touché le support, sans que leurs méandres soient modifiés. Le tout est soigneusement conservé dans un coffret comme de nouveaux étalons de mesure qui, s’ils pervertissent la rectitude traditionnellement de mise, n’en restent pas moins de fidèles unités du mètre ».

Marcel Duchamp 3 stoppages – étalon, 1913 / 1964

Fil, toile, cuir, verre, bois, métal, 28 x 129 x 23 cm, 3 fils d’un mètre collés sur 3 bandes de toile peinte Bleu de Prusse, collées sur verre, règles à fixer, le tout dans un coffre en bois

Inscriptions : S.D.T. sur une plaque de cuivre gravée et clouée sur le couvercle du coffre en bois : Marcel Duchamp 1964 Ex./ Rrose/ 3 STOPPAGES-ETALON, 1913-14 / EDITION GALERIE SCHWARZ, MILAN

D’après la première réalisation à Paris en 1913-1914, cette réplique a été réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz à Milan, et datée 1913-1914/1964

Sol LeWitt : protocoles pour réaliser ses dessins muraux.

Wall Drawing n°45

Des lignes droites de 25 cm de long, ne se touchant pas, uniformément dispersées avec le maximum de densité, couvrant toute la surface du mur. Crayon à la mine noire

Wall Drawing n°46

Lignes verticales non droites, ne se touchant pas, uniformément dispersées avec le maximum de densité couvrant toute la surface du mur

Wall Drawing n°133

Bandes de lignes parallèles égalant en longueur un tiers de la hauteur du mur, de coin à coin, du haut en bas, d’un côté à l’autre.

Wall Drawing n°289 + Wall Drawing n°295

Wall Drawing n°289

Une grille de 15 cm couvrant chacun des quatre murs noirs. Des lignes blanches jusqu’à des points sur les grilles.

  • Premier mur : 24 lignes partant du centreSecond mur : 12 lignes partant du milieu de chacun des côtésTroisième mur : 12 lignes partant de chaque coinQuatrième mur : 24 lignes partant du centre, 12 lignes partant du milieu de chacun des côtés, 12 lignes partant de chaque coin. Quatrième mur composite.

La longueur des lignes et leur position sont déterminées par le dessinateur.

Wall Drawing n°343

Sur un mur noir, neuf figures géométriques (y compris un triangle rectangle, une croix, un X) en carrés. Les fonds sont remplis en blanc. Décembre 1980 Crayon blanc sur mur noir A, B, C, D, E, F (carré, cercle, triangle, rectangle, trapèze, parallélogramme)  

https://www.sfmoma.org/artist/Sol_LeWitt

Un protocole plusieurs réalisations Wall Drawing n°346

Dessin mural à réaliser in situ selon les spécifications du certificat et du diagramme.

Wall Drawing #346/A-F (lettre = figure), encre de Chine sur mur blanc.

Réalisé pour la première fois à l’encre de Chine à la galerie Yvon Lambert à Paris en février 1981 par Laurent Mazarguil, Guy Mazarguil et Sol LeWitt

en 2013 au Centre Pompidou Metz

2017 au carré d’art à Nîmes, exposition 

« A different way to move – Minimalismes » https://www.enrevenantdelexpo.com/2017/04/06/a-different-way-to-move-minimalismes-new-york-1960-1980-carre-dart-nimes/

OuLiPo : exemple de protocole littéraire

La Disparition est un roman en lipogramme français (figure de style qui consiste à produire un texte d’où sont délibérément exclues certaines lettres) écrit par Georges Perec en 1968 et publié en 1969. Son originalité est que, sur ses 300 pages (variable selon les éditions), il ne comporte pas une seule fois la lettre « e », pourtant la plus utilisée d’une manière générale dans la langue française.

Exemple pages 60 et 61 :

« Là où nous vivions jadis, il n’y avait ni autos, ni taxis, ni autobus : nous allions parfois, mon cousin m’accompagnait, voir Linda qui habitait dans un canton voisin. Mais, n’ayant pas d’autos, il nous fallait courir tout au long du parcours ; sinon nous arrivions trop tard : Linda avait disparu.
Un jour vint pourtant où Linda partit pour toujours. Nous aurions dû la bannir à jamais ; mais voilà, nous l’aimions. Nous aimions tant son parfum, son air rayonnant, son blouson, son pantalon brun trop long ; nous aimions tout.
Mais voilà tout finit : trois ans plus tard, Linda mourut ; nous l’avions appris par hasard, un soir, au cours d’un lunch. »

Les premiers systèmes de François Morellet en 1952

Les œuvres de François Morellet sont exécutés d’après un système : chaque choix est défini par un principe établi par avance. Il veut par là donner l’impression de contrôler la création artistique tout en laissant une part de hasard, ce qui donne un tableau imprévisible. Il utilise des formes simples, un petit nombre de couleurs en aplats, et des compositions élémentaires (juxtaposition, superposition, hasard, interférence, fragmentation). Il crée ainsi ses premières  » trames », des réseaux de lignes parallèles noires superposées selon un ordre déterminé qui recouvrent toute la surface des tableaux.

Ces systèmes rappellent les structures proposées par l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle) et décrites par Raymond Queneau : « Quel est le but de nos travaux ? Proposer aux écrivains de nouvelles « structures », de nature mathématique, ou bien encore inventer de nouveaux procédés artificiels ou mécaniques, contribuant à l’activité littéraire ».

Par la suite, François Morellet va continuer à utiliser des systèmes basés sur un univers mathématique.

40 000 carrés, 1971, 8 sérigraphies, 80 x 80 cm Chaque Édition : Denise René, Paris, Atelier de l’artiste et https://www.moma.org/collection/works/105479

Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire de téléphone, 50% bleu, 50% rouge, 1963
Papier mural sérigraphié, ampoule électrique. Réinstallations, Centre Pompidou, 2011. En 1958, Morellet découvre les grilles régulières mais accidentées des Duo-collages que Sophie Taeuber-Arp et Hans Arp réalisaient en 1918, sectionnant, au hasard, des rectangles qui viennent rompre l’uniformité de leurs « compositions élémentaires ».Morellet conçoit alors sa première pièce « selon les lois du hasard », Répartition aléatoire de triangles suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire téléphonique.
En découle la réalisation ultérieure des 40 000 carrés, réalisée pour la IIIe Biennale de Paris, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 1963.Si l’intention consiste à vouloir brouiller les repères visuels du visiteur dès son entrée dans l’exposition, le principe (protocole) en est simple : partir d’une grille régulière de carrés, de cases autrement dit, et d’un choix arbitraire de deux couleurs. En demandant à ses proches de lui dicter les chiffres de l’annuaire, l’artiste coche ses cases selon que la fin du numéro de téléphone est paire ou impaire ; il n’y a plus qu’à remplir les cases cochées d’une couleur, les cases vides de l’autre. Le principe à la fois numérique et binaire préfigure bien des œuvres que les artistes des décennies à venir obtiendront de leurs ordinateurs en agrandissant les pixels.

Répartition aléatoire de carrés

« En 1960, après plusieurs années de travail sur les trames superposées en noir et blanc, j’ai eu un grand désir d’utiliser la couleur […] C’est pourquoi j’avais choisi la solution suivante : sur un tableau de 1 x 1 m, je traçais 200 lignes horizontales et 200 lignes verticales, formant ainsi 40 000 carrés de 5 mm de côté. J’avais opté pour une suite de chiffres, en l’occurrence l’annuaire du téléphone, et demandai à ma femme et à mes enfants de me les lire. À chaque carré était attribué un chiffre. Si ce chiffre était pair, je faisais une croix, s’il était impair, je ne faisais rien. Quand ce travail fut terminé, j’avais à peu près 20 000 carrés avec une croix et 20 000 carrés sans croix. Il ne me restait plus qu’à peindre au pinceau les carrés avec une croix d’une couleur (bleu) et les carrés sans croix de l’autre couleur (rouge). Ce travail s’étendit sur un an environ. »

http://mba.caen.fr/sites/default/files/morellet.pdf

Instructions paintings de Yoko Ono en 1961

https://www.moma.org/audio/playlist/15/371

En décembre 1960, Yoko Ono loue un loft au 112 Chambers Street à New York. Le lieu est un atelier mais aussi un espace sommairement aménagé dans lequel pendant plus de six mois, avec le compositeur La Monte Young, elle présente de nombreux events d’artistes, musiciens, danseurs et compositeurs. Ces œuvres mêlent musique, art visuel et performance, et brouillent les distinctions traditionnelles. Ces « concerts » accueillent un public nombreux parmi lequel John Cage, Marcel Duchamp, Henry Flynt, Simone Forti, Peggy Guggenheim, Jasper Johns, George Maciunas, Robert Rauschenberg…

Mais, c’est en été 1961 qu’elle réalise sa première exposition personnelle à l’AG Gallery de New York à l’invitation de George Maciunas, architecte, designer et co-directeur de la galerie. À cette occasion, elle y expose des œuvres connues sous le nom de « peintures instructions ». L’instruction est un texte, un poème, une indication écrite ou orale, qui existe préalablement à la peinture et qui peut emprunter diverses formes et supports : peintures, films, performances, events… Pendant l’exposition, Yoko Ono transmet verbalement ses instructions, ou elle utilise des cartes manuscrites invitant le visiteur à compléter l’œuvre, rendant le résultat imprévisible. Elle souhaite que ses instructions soient réalisées par qui le souhaite. La première de ses instructions remonte à 1953. Disparues à l’issue de l’exposition, ces « peintures instructions » ont été refaites en 2015.

Cette artiste est également très connue pour ses performances utilisant son corps comme médium (art corporel, body art) : En 1964, alors âgée de 31 ans, elle produit un happening au Japon : Cut Piece, dénonçant le regard porté sur les femmes, femmes objet, ici offerte aux désirs des visiteurs.

Dans cette performance de body art, Yoko Ono se met en scène immobile face à un public. Elle demande à l’assistance de venir un par un, découper un morceau de ses vêtements. A ce moment, les médias et les critiques d’art sont émerveillés par l’audace de cette performance. Elle ne bouge pas et se laisse totalement faire face aux différentes personnes qui viennent lui couper ses vêtements. A l’approche de la fin, les participants coupent des morceaux de tissus de plus en plus gros.

Son livre « Grapefruit » est publié en 1964. Il est le recueil de ses Instructions Paintings : « OEUVRE CHIFFRE 1. Comptez tous les mots du livre/ plutôt que de les lire. OEUVRE RIRE. Riez durant une semaine. OEUVRE CONCERT. Lorsque le rideau se lève, allez vous cacher/ et attendez que tout le monde soit parti./ Montrez-vous et jouez. OEUVRE SANG. Utilisez votre sang pour peindre./ Peignez jusqu’à vous évanouir. (a)/ Peignez jusqu’à ce que mort s’en suive. (b). OEUVRE HORLOGE. Avancez les horloges du monde entier de/ deux secondes sans que personne ne le/ sache ».

https://www.profartspla.site/images/lycee/peintures_instructionsYokoONO.pdf

sources : MAC de Lyon

Sentences on Conceptual Art de Sol LeWitt en 1968

Entre 1967 et 1969, il rédige ses deux textes fondamentaux, Paragraphs on Conceptual Art et Sentences on Conceptual Art, dans lesquels il explique que l’œuvre ne doit être qu’une illustration de l’idée. Pourtant, si la réalisation matérielle des modèles théoriques de Sol LeWitt peut apparaître secondaire, il y a toujours la nécessité d’une traduction visuelle. En cela, sa démarche relève bien d’une pratique minimale induisant la confrontation du spectateur avec l’œuvre matérielle. Reste que le projet se dissocie de sa réalisation – l’artiste, d’ailleurs, la confie volontiers à des exécutants ; l’œuvre se réduit parfois à un simple texte décrivant les opérations nécessaires à son élaboration.

Lines in Four Directions in Flowers de Sol LeWitt en 2012 : protocole végétal

https://www.philamuseum.org/exhibitions/770.html?page=2

https://www.sculpturenature.com/sol-lewitt-monumental/

L’œuvre installée depuis 2012 à Philadelphie (Etat de Pennsylvanie, Etats-Unis) initialement installée pour deux ans, est à la croisée du jardin à la française et de l’art minimaliste.

Conçue par LeWitt en 1981 suite à une commande du Fairmount Park Art Association (aujourd’hui l’Association for Public Art de Philadelphie), Lines in Four Directions in Flowers a finalement été installée trente ans plus tard par le Philadelphia Museum of Art (PMA) à l’emplacement initialement prévu par l’artiste, à côté du jardin de sculptures du musée.

Si l’œuvre est structurée selon un schéma géométrique très précis, caractéristique du travail de LeWitt, ce qui étonne, c’est le matériau choisi pour la mettre en œuvre : le végétal et tout ce qu’il implique d’inattendu et d’incontrôlable.

Cette installation, qui investit un périmètre de 1600 m2, est en effet composée de quatre parterres carrés de dimensions identiques mais de couleurs et de motifs différents, rendus visibles par plus de sept mille plantations de fleurs et plantes vivaces. Pour décrire son projet, LeWitt ne donnera que les instructions suivantes :

“Planter des fleurs de quatre couleurs différentes (blanc, jaune, rouge et bleu) sur quatre parterres rectangulaires de taille égale, selon quatre axes (vertical, horizontal, diagonal droit et diagonal gauche), entourés de haies vivaces d’environ 60 cm de hauteur. En hiver les rangées garderont leur orientation linéaire ; en été les fleurs apporteront la couleur. Un botaniste sera chargé du choix des plantes, de leur taille, de leur espacement, ainsi que des détails quant à leur plantation, et leur entretien sera confié à un jardinier. »

L’interprétation et l’exécution de ces instructions pour le moins minimales et du dessin qui les accompagne ont été ainsi confiées à un bureau de paysagistes américains.

Afin de rester au plus près des intentions de LeWitt, les paysagistes, en collaboration avec l’équipe du PMA, ont choisi d’utiliser un algorithme informatique leur permettant de sélectionner et d’ordonner les fleurs à planter selon leur couleur, leur taille et leur période de floraison. Ils expliquent ce choix :

“Pour cette œuvre, l’application des règles strictes d’un algorithme nous semblait en accord parfait avec la notion d’art conceptuel de LeWitt et particulièrement adaptée à la création de variantes au sein d’une structure rigide. »

La liste des plantes choisies ainsi qu’une reproduction du dessin de LeWitt pour ce projet et les images de sa réalisation sont disponibles sur le site du Philadelphia Museum Art

Les propositions de Lawrence Weiner en 1969

C’est en 1968 que le travail de Lawrence Weiner connaît un tournant décisif : lors d’une exposition à la Siegelaub Gallery, il décide de ne montrer que Statements [Énoncés], un livre compilant une suite de propositions sculpturales à réaliser mentalement. Dès lors, toutes les propositions de Lawrence Weiner se fondent sur cette déclaration d’intention de l’artiste, publiée en 1969 :

« L’artiste peut réaliser la pièce ; la pièce peut être réalisée (par quelqu’un d’autre) ; la pièce peut ne pas être réalisée. Chaque proposition étant égale et en accord avec l’intention de l’artiste, le choix d’une des conditions de présentation relève du récepteur à l’occasion de la réception ».
Les trois possibilités de réalisation de l’œuvre sont ainsi déclarées équivalentes par l’artiste qui affirme par ailleurs que la construction de l’œuvre dépend intrinsèquement de sa réception, donc de son contexte.

À partir des années 1970, le travail de Lawrence Weiner consiste essentiellement à produire des installations murales : des mots peints sur les murs (de l’espace d’exposition ou de la ville) qui décrivent des sculptures potentielles. Les Statements de Lawrence Weiner formulent des énoncés dans un langage neutre, qui va devenir un trait stylistique remarquable de son travail : typographie caractéristique (lettrage bâton en capitales) disposée en blocs, avec une coupure arbitraire des lignes et une exploration systématique de la couleur, de la traduction et des signes de ponctuation (parenthèse, tiret, barre oblique). L’artiste nommera ensuite ses travaux Works pour affirmer leur statut de sculptures.

Lawrence Weiner a également produit plus d’une centaine de livres d’artiste qui ont pris la place du catalogue pour la majorité de ses expositions. Ces livres d’artiste ont participé au renouvellement complet du genre qui, jusque-là, se cantonnait généralement à l’illustration par un artiste d’un texte poétique. Dans les années 1960, le livre est envisagé par la génération conceptuelle comme une œuvre à part entière, susceptible d’être diffusé en grand nombre, allant à l’encontre du caractère unique et précieux de l’œuvre d’art.
Outre ses livres et interventions dans l’espace public, Lawrence Weiner a réalisé plusieurs multiples, généralement des objets du quotidien (parapluie, briquet, T-shirt, badge, etc.) qui se font à leur tour supports de ses énoncés et en perpétuent la diffusion.

https://www.mariangoodman.com/artists/70-lawrence-weiner/

Le protocole de Roman Opalka de 1965/1 – ∞

Roman Opalka1965/1 – ∞, détails 2075998, 2081397, 2083115, 4368225, 4513817, 4826550, 5135439 et 5341636, Autoportraits, série photographique noire blanc sur papier, 24 x 30,50 cm.Collection du FRAC Lorraine :Édition limitée, 298 exemplaires numérotés et signés : 50 autoportraits présentés dans un coffret24 x 30 cm, 2008

Photographie noire blanc sur papier, 24 x 30,50 cm. « … ce que je nomme mon autoportrait, est composé de milliers de jours de travail.

Chacun d’eux correspond au nombre et au moment précis où je me suis arrêté de peindre après une séance de travail.  » Roman Opalka 

Site officiel de l’artiste http://www.opalka1965.com/fr/index_fr.php

Programme (protocole) de la démarche : OPALKA 1965/1-∞

Ma proposition fondamentale, programme de toute ma vie, se traduit dans un processus de travail enregistrant une progression qui est à la fois un document sur le temps et sa définition. Une seule date, 1965, celle à laquelle j’ai entrepris mon premier Détail.

Chaque Détail (nom de ses toiles peintes) appartient à une totalité désignée par cette date, qui ouvre le signe de l’infini, et par le premier et le dernier nombre portés sur la toile. J’inscris la progression numérique élémentaire de 1 à l’infini sur des toiles de même dimensions, 196 sur 135 centimètres (hormis les « cartes de voyage »), à la main, au pinceau (de taille toujours identique « no zéro » afin de veiller à la dimension graphique et à la lisibilité peinte des nombres), en blanc, sur un fond recevant depuis 1972 chaque fois environ 1 % de blanc supplémentaire. Arrivera donc le moment où je peindrai en blanc sur blanc.

Depuis 2008, je peins en blanc sur fond blanc, c’est ce que j’appelle le « blanc mérité ». Après chaque séance de travail dans mon atelier, je prends la photographie de mon visage devant le Détail en cours. Chaque Détail s’accompagne d’un enregistrement sur bande magnétique de ma voix prononçant les nombres (en polonais) pendant que je les inscris.

Pour que tout soit identique, même si son atelier change de lieu, il garde des traces avec des mesures de son cadre de travail :

Le 6 août 2011 (jour de son décès), Roman Opalka a achevé son oeuvre : « le fini défini par le non fini » 

Roman Opalka last number

Le protocole d’On Kawara en 1966

« Today » Series (Série « Aujourd’hui ») d’On Kawara

Liquitex sur toile, carton, journal de 25,8 x 33,3 x 4,3 cm. Inscriptions : S.R. sur la toile : ON KAWARA. 2 éléments : la peinture est conservée dans une boîte en carton dont le fond est recouvert par une coupure du « New York Times » daté Thursday, August 14, 1975.

Les trois œuvres de cette série datent des 14, 15 et 16 août 1975 ; elles sont accompagnées de coupures du New York Times placées au fond d’une boîte en carton, qui permettent d’en situer le lieu de création ; enfin, elles portent en sous-titre le jour de la semaine où elles ont été exécutées.

Issu d’une pratique systématique reposant sur le marquage du temps (le plus souvent quotidien), le travail d’On Kawara se décline en séries. La série de peintures de dates (qui se réfèrent au jour de création de l’œuvre) intitulée Today Series, commencée en 1966 et se poursuivant jusqu’à aujourd’hui, est par définition la plus longue.

Chaque toile de la série est méticuleusement peinte à la main, les nombreuses couches du fond monochrome étant recouvertes d’aussi nombreuses couches blanches pour l’écriture de la date, si bien que toute trace de pinceau est effacée.

Il trace à la main et à la peinture blanche sur la surface mate parfaitement monochrome de la toile, les chiffres et lettres de la date à laquelle il réalise ce tableau, dans la langue du pays où il se trouve.

Généralement réalisée la nuit, en huit heures environ, elle est détruite si, pour une raison ou une autre, l’artiste ne l’a pas achevée le jour même. Comme chez Hanne Darboven et Roman Opalka, dans ce projet obsessionnel, méticuleux, fastidieux, ce sont les infimes variations de détail et l’ampleur visuelle déterminée par accumulation qui le distingue d’un simple comptage mécanique, autodestructeur et imperceptible du temps.

https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cLrG6dK/rKa8Bpz

http://i-ac.eu/fr/collection/130_today-ON-KAWARA-2000

Le protocole de Claude Rutault en 1973

En 1973, il en arrive à établir un schéma opérationnel, une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée, qui donne à la peinture son autonomie signalée uniquement par son relief, bas-relief ou presque plat, et ses contours.

Ce protocole prendra la forme d’une suite de « définitions/méthodes« , les fameuses « dm » numérotées, qui vont explorer le jeu de l’artiste avec l’œuvre et sa prise en charge, celle du galeriste, du curateur (commissaire d’exposition, veilleur de nouveaux talents sur internet et les réseaux sociaux) ou du collectionneur.

« Le principe de ce travail de toiles de la même couleur que le mur est né d’une situation particulière qui était de repeindre simplement les pièces d’une maison – j’ai fait ça un jour comme ça très rapidement, et ça a mis un petit temps pour se décanter un peu, j’ai pas tout de suite mesuré les suites possibles de ce travail ». Entretien avec Claude Rutault, Centre Pompidou Paris.

2018 / Exposition L’Aventure de la couleur, Centre Pompidou Metz.

Au premier plan : Yves Klein, Pigments purs, 1957 installation originale 1957 – recréation 2017 Cadre en bois, sable et pigments bleus, Paris, Collection particulière.   

Arrière – plan : Claude Rutault D’où je viens où j’en suis où je vais, 2015, Centre Pompidou Paris.https://www.centrepompidou-metz.fr/sites/default/files/couleurddv1.pdf

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