Ephémère

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Ephémère

Oeuvre éphémère = œuvre qui ne dure pas dans le temps ou qui est de courte durée.
Cette durée est volontairement limitée par l’artiste car qu’il utilise les différentes possibilités de dégradation des matériaux au cours du temps, ou parce que la production de l’oeuvre ne dure que le temps de sa présentation (installation, action, event, performance…). Les traces photographiques ou vidéos permettent de conserver la mémoire de ces oeuvres disparues.

Une oeuvre éphémère désigne une œuvre dont la détérioration et la disparition, que ce soit par les éléments naturels, par son auteur ou par autrui, sont prévues et anticipées par son auteur et intégrées dès le processus de création. Le processus de création intègre le processus de destruction de l’oeuvre. 

Une oeuvre éphémère est souvent à interpréter comme une vanité contemporaine. Au XVIIème siècle, lorsque les Natures Mortes étaient un genre très prisé, l’artiste représentait la vie qui passe, qui s’effile, qui s’étiole. Au XXème siècle, avec une oeuvre éphémère, le spectateur voit et vit cette lente finitude annoncée.

Questions possibles :

– Comment conserver une oeuvre éphémère ? traces photographiques, vidéos ? Une fois l’oeuvre disparue est-ce sa trace qui fait oeuvre ?

– Comment une oeuvre éphémère entre-t-elle sur le marché de l’art ? Peut-elle y échapper ?

Les origines

Les premières pratiques artistiques de l’humanité sont probablement des actes engageant le corps, le temps et l’espace ; pratiques proches de la performance telles que les rituels, les cérémonies, la danse. De nombreuses pratiques artistiques traditionnelles, par exemple le Mehndī (tatouage au henné) ou le Rangoli et le Kolam (dessin au sol tracés avec de la poudre blanche, du riz, ou un bâton), dont on peut supposer qu’elles ont des origines très anciennes, intègrent le fait de n’exister que pendant un court moment.

La production de l’oeuvre ne dure que le temps de sa présentation : certaines installations, les actions, events et performances.

  • Installations éphémères de Wolfgang Laib : du 6 mars au 8 juillet 2024, le musée de l’Orangerie présente un ensemble d’oeuvres intitulé « Une montagne que l’on ne saurait gravir. Pour Monet », réalisées par Wolfgang Laib pour l’architecture particulière du musée, en dialogue avec cette ode à la nature et à la beauté que sont les Nymphéas de Monet.

Les performances : engagement du corps

La question de la temporalité, et donc l’abandon de la pérennité comme composante indissociable de l’œuvre, dans les arts plastiques occidentaux a commencé à faire son chemin au début du XXème siècle, avec le mouvement Dada et les événements du Cabaret Voltaire, avec également les lectures publiques des manifestes des futuristes italiens. La présence et les actes de l’artiste, le moment de l’action et son contexte, l’interaction avec les personnes présentes, deviennent alors des formes revendiquées d’œuvres. Le développement de la performance, entre autres à travers les artistes de Fluxus, intègre que l’instant de réalisation est l’œuvre

Deux performances de Gilbert et George http://www.gilbertandgeorge.co.uk/ :

The Singing Sculpture, 1969/1991
Bend It
Warp Dance (Distorsion danse) publiée sur Facebook en 2018.

Les oeuvres éphémères : intégration d’éléments naturels et de leur disparition

  • Dishu : calligraphies à l’eau réalisées à même le sol et qui s’évaporent peu de temps après avoir été écrites
  • Giuseppe Penone : sculptures en pomme de terre ou courges. 

Patate, 1977, pommes de terre et éléments en bronze du corps de l’artiste.

Courges, 1978-79, courges ayant poussé dans le moule en plâtre du visage de l’artiste.

Penone réalise des moules d’une partie de son visage et les pose dans un champs de pommes de terre, celles-ci poussent alors en remplissant les vides des moules et en prennent la forme. Puis en a fait des oeuvres durables  en bronze pour garder son oeuvre pérenne.

  • Miquel BARCELOCadaverina 15 (nom du composé chimique produit par la décomposition de la chair animale), 1976 (l’artiste a tout juste 18 ans), 225 petites boîtes (15 séries de 15 boîtes pendant les 15 jours de l’exposition) contenant des éléments organiques (oeuf, poisson, soupe, foie, banane, riz bouilli, spaghetti, pain …). Voir le détail sur ce site.

  • Andy Goldsworthy et d’autres artistes du Land Art :

Les oeuvres éphémères : destruction matérielle programmée 

  • Jean TinguelyHommage à New York, 18 mars 1960, dans le jardin du MOMA à New York

Oeuvre créée avec matériaux recyclés (rouillés, abîmés, tordus, cassés) = nouvelle beauté des Nouveaux Réalistes > faire de l’art avec les détritus de la société de consommation. Hommage à New York est une sculpture-machine de 16 mètres de long produisant une performance ou un event ou un happening mécanique de 29 minutes en s’auto-détruisant.

Conçue en collaboration avec l’ingénieur Billy Klüver, l’oeuvre de Tinguely était composée d’un assemblage de 80 roues de bicyclette, de vieux moteurs, un piano, des tambours en métal, une machine à adresser, un déambulateur pour enfant, et une baignoire émaillée… Bily Klüver raconte : « Pendant que nous construisions la machine, je ne cessais de m’étonner du mépris total de Jean à l’égard des principes fondamentaux de la mécanique. Il exigeait soudain qu’un élément fonctionne, pour le détruire aussitôt après par une intervention triviale. Jean travaillait en artiste et c’est en artiste qu’il choisissait et posait moteurs et courroies de transmission. »

Pour Tinguely, l’œuvre n’a aucune importance, c’est l’action qui se déroule sous les yeux du public médusé qui est importante. L’oeuvre est conçue pour s’autodétruire, redevenir un tas de ferraille non muséifiable. Un des souhaits de Jean Tinguely était que ces oeuvres échappent aux musées, aux marchés de l’art comme pour Christo ou Jean Dubuffet.

Tinguely précise : « C’était surtout une liberté complète que je me donnais en construisant toujours en envisageant la possibilité destructive. C’est à dire en construisant quelque chose pour lequel je n’envisageais jamais de savoir est-ce que ça va durer une minute ou dix minutes ou deux heures ou dix ans. Mon problème là était uniquement de m’adonner à une construction complètement folle et libre ». 

Il ne reste que des fragments de cette oeuvre exposés comme des reliques (https://www.moma.org/collection/works/81174) , des photographies et extraits vidéos ainsi que des témoignages.

Au cours de sa brève opération, un ballon d’essai météorologique s’est gonflé et a éclaté, des fumées colorées ont été émises, des peintures ont été réalisées et détruites et des bouteilles se sont écrasées au sol. Un piano mécanique, des tambours métalliques, une émission de radio, un enregistrement de l’artiste expliquant son travail et une voix stridente concurrente le corrigeant ont fourni la bande sonore cacophonique de l’autodestruction de la machine, jusqu’à ce qu’elle soit arrêtée net par les pompiers.

D’autres artistes comme Banksy, Tania Mouraud, Jean-Pierre Raynaud ou Malcolm Morley, créent aussi des oeuvres qui s’autodétruisent. Cette fin programmée fait partie du processus de création.

Oeuvres dont la dégradation des matériaux au cours du temps est choisie par l’artiste :

La première œuvre présentée dans la Rotonde de la Bourse du Commerce regroupant les oeuvres de la collection François Pinault à Paris, était une installation de l’artiste Urs Fischer, Untitled, de 2011 recomposée spécialement pour l’ouverture du musée et montrée pour la première fois en France. Fischer l’a repensée à l’échelle du site, une « place publique » couverte d’une coupole culminant à presque 40 mètres. Composée de sculptures en cire, Untitled, 2011 est un groupe de bougies monumentales que l’on allume au premier jour de leur exposition : la réplique grandeur nature d’un célèbre groupe sculpté de la période maniériste L’Enlèvement des Sabines (1579-1582) de Jean de Bologne, sept sièges divers (d’un tabouret africain à la banale chaise plastique en passant par le fauteuil d’avion), la sculpture de l’artiste Rudolf Stingel (ami et pair d’Urs Fischer), le tout aussi en cire, contemple l’ensemble.

  • Ernest Pignon-Ernest ou JR réalisent des impressions sur papier, collés dans l’espace public, soumis aux intempéries et aux dégradations volontaires des passants. Tout artiste qui choisit d’exposer dans l’espace public sait qu’il expose son oeuvre aux intempéries et aux dégradations volontaires.


Exposition éphémère / exposition temporaire / exposition intermittente : quelles différences ?  
Une exposition éphémère ne dure pas dans le temps ou est de courte durée et contient explicitement l’idée de cette dégradation dans le temps, de cette finitude programmée. Elle regroupe donc des oeuvres qui dans leur dispositif d’exposition ne sont pas destinées à perdurer ainsi. Les oeuvres d’une exposition éphémère sont elles-mêmes éphémères pour conserver cette temporalité.

Rappel : l’artiste anticipe et prévoit que son oeuvre éphémère se détériore et/ou disparaisse, par les éléments naturels ou par lui-même ou par autrui.

Des expositions d’artistes du Land Art, du Street Art, du body-art peuvent, selon les critères de détérioration énoncés, être exposés de façon éphémère.


Exemple d’exposition éphémère : parc de Pourtalès près de Strasbourg

Le dispositif d’exposition en pleine nature, le parc de Pourtalès, offre ces oeuvres au public de promeneurs et soumet les oeuvres aux intempéries, aux dégradations, aux vols. Certaines oeuvres intègrent l’idée de leur lente dégradation, de leur disparition (Les Arbrorigènes d’Ernest Pignon-Ernest ; À travers l’arbre de Stephan Balkenhol).

https://www.archi-wiki.org/Adresse:Parc_de_Pourtal%C3%A8s_(Strasbourg)


Exemple d’exposition éphémère : oeuvre et dispositif d’exposition éphémères

Miquel BARCELOCadaverina 15 (nom du composé chimique produit par la décomposition de la chair animale), 1976 (l’artiste a tout juste 18 ans), 225 petites boîtes (15 séries de 15 boîtes pendant les 15 jours de l’exposition) contenant des éléments organiques (oeuf, poisson, soupe, foie, banane, riz bouilli, spaghetti, pain …).

C’est la première présentation du travail de Miquel Barceló dans un musée, celui de Palma de Majorque.

 » Cette œuvre se présentait sous forme de petites boîtes : quinze séries de quinze éléments qui pourrissaient dans une exposition pendant quinze jours. Il y avait quinze cœurs de bœuf, l’un était frais et un autre avait quinze jours. J’ai appris beaucoup de choses, c’était comme avoir une porte ouverte sur la beauté de la charogne. J’ai souvent cité cette œuvre comme étant le début de mon curriculum vitae. Je la regarde encore, elle se transforme beaucoup plus lentement désormais. Car c’est vrai que tout se transforme, nous les premiers. Mais mes tableaux auront encore très bonne mine quand mes ossements seront poussière. Je travaille avec des pigments et des matières très robustes, mais j’ai souvent réalisé des œuvres éphémères. J’aime que de grandes œuvres monumentales ne durent que quelques jours, heures ou instants. Les plus belles œuvres ne durent qu’un instant. Après, il faut croire sur parole qu’elles ont existé. C’est comme un petit poème qui a été récité avant d’être oublié « .

Par opposition, on parle d’exposition pérenne ou de collection permanente pour désigner des expositions qui durent dans le temps.

Voir aussi à exposition temporaire et intermittente.

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