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Ephémère

Une oeuvre éphémère désigne une œuvre dont la détérioration et la disparition, que ce soit par les éléments naturels, par son auteur ou par autrui, est prévue et anticipée par son auteur et intégrées dès le processus de création. Le processus de création intègre le processus de destruction de l’oeuvre. 

Une oeuvre éphémère est souvent à interpréter comme une vanité contemporaine. Au XVIIème siècle, lorsque les Natures Mortes étaient un genre très prisé, l’artiste représentait la vie qui passe, qui s’effile, qui s’étiole. Au XXème siècle, avec une oeuvre éphémère, le spectateur voit et vit cette lente finitude annoncée.

Questions possibles :

– Comment conserver une oeuvre éphémère ? traces photographiques, vidéos ? Une fois l’oeuvre disparue est-ce sa trace qui fait oeuvre ?

– Comment une oeuvre éphémère entre-t-elle sur le marché de l’art ? Peut-elle y échapper ?

Les origines

Les premières pratiques artistiques de l’humanité sont probablement des actes engageant le corps, le temps et l’espace ; pratiques proches de la performance telles que les rituels, les cérémonies, la danse. De nombreuses pratiques artistiques traditionnelles, par exemple le Mehndī (tatouage au henné) ou le Rangoli et le Kolam (dessin au sol tracés avec de la poudre blanche, du riz, ou un bâton), dont on peut supposer qu’elles ont des origines très anciennes, intègrent le fait de n’exister que pendant un court moment.

Les performances : engagement du corps

La question de la temporalité, et donc l’abandon de la pérennité comme composante indissociable de l’œuvre, dans les arts plastiques occidentaux a commencé à faire son chemin au début du XXème siècle, avec le mouvement Dada et les événements du Cabaret Voltaire, avec également les lectures publiques des manifestes des futuristes italiens. La présence et les actes de l’artiste, le moment de l’action et son contexte, l’interaction avec les personnes présentes, deviennent alors des formes revendiquées d’œuvres. Le développement de la performance, entre autres à travers les artistes de Fluxus, intègre que l’instant de réalisation est l’œuvre

Deux performances de Gilbert et George http://www.gilbertandgeorge.co.uk/ :

The Singing Sculpture, 1969/1991
Bend It
Warp Dance (Distorsion danse) publiée sur Facebook en 2018.

Les oeuvres éphémères : intégration d’éléments naturels et de leur disparition

  • Dishu : calligraphies à l’eau réalisées à même le sol et qui s’évaporent peu de temps après avoir été écrites
  • Giuseppe Penone : sculptures en pomme de terre ou courges. 

Patate, 1977, pommes de terre et éléments en bronze du corps de l’artiste.

Courges, 1978-79, courges ayant poussé dans le moule en plâtre du visage de l’artiste.

Penone réalise des moules d’une partie de son visage et les pose dans un champs de pommes de terre, celles-ci poussent alors en remplissant les vides des moules et en prennent la forme. Puis en a fait des oeuvres durables  en bronze pour garder son oeuvre pérenne.

  • Miquel BARCELOCadaverina 15 (nom du composé chimique produit par la décomposition de la chair animale), 1976 (l’artiste a tout juste 18 ans), 225 petites boîtes (15 séries de 15 boîtes pendant les 15 jours de l’exposition) contenant des éléments organiques (oeuf, poisson, soupe, foie, banane, riz bouilli, spaghetti, pain …). Voir le détail sur ce site.

Les oeuvres éphémères : destruction matérielle programmée 

  • Jean TinguelyHommage à New York, 18 mars 1960, dans le jardin du MOMA à New York

Oeuvre créée avec matériaux recyclés (rouillés, abîmés, tordus, cassés) = nouvelle beauté des Nouveaux Réalistes > faire de l’art avec les détritus de la société de consommation. Hommage à New York est une sculpture-machine de 16 mètres de long produisant une performance ou un event ou un happening mécanique de 29 minutes en s’auto-détruisant.

Conçue en collaboration avec l’ingénieur Billy Klüver, l’oeuvre de Tinguely était composée d’un assemblage de 80 roues de bicyclette, de vieux moteurs, un piano, des tambours en métal, une machine à adresser, un déambulateur pour enfant, et une baignoire émaillée… Bily Klüver raconte : « Pendant que nous construisions la machine, je ne cessais de m’étonner du mépris total de Jean à l’égard des principes fondamentaux de la mécanique. Il exigeait soudain qu’un élément fonctionne, pour le détruire aussitôt après par une intervention triviale. Jean travaillait en artiste et c’est en artiste qu’il choisissait et posait moteurs et courroies de transmission. »

Pour Tinguely, l’œuvre n’a aucune importance, c’est l’action qui se déroule sous les yeux du public médusé qui est importante. L’oeuvre est conçue pour s’autodétruire, redevenir un tas de ferraille non muséifiable. Un des souhaits de Jean Tinguely était que ces oeuvres échappent aux musées, aux marchés de l’art comme pour Christo ou Jean Dubuffet.

Tinguely précise : « C’était surtout une liberté complète que je me donnais en construisant toujours en envisageant la possibilité destructive. C’est à dire en construisant quelque chose pour lequel je n’envisageais jamais de savoir est-ce que ça va durer une minute ou dix minutes ou deux heures ou dix ans. Mon problème là était uniquement de m’adonner à une construction complètement folle et libre ». 

Il ne reste que des fragments de cette oeuvre exposés comme des reliques (https://www.moma.org/collection/works/81174) , des photographies et extraits vidéos ainsi que des témoignages.

Au cours de sa brève opération, un ballon d’essai météorologique s’est gonflé et a éclaté, des fumées colorées ont été émises, des peintures ont été réalisées et détruites et des bouteilles se sont écrasées au sol. Un piano mécanique, des tambours métalliques, une émission de radio, un enregistrement de l’artiste expliquant son travail et une voix stridente concurrente le corrigeant ont fourni la bande sonore cacophonique de l’autodestruction de la machine, jusqu’à ce qu’elle soit arrêtée net par les pompiers.

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