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White cube

Le white cube (cube blanc), est, pour la muséologie, un type d’espace d’exposition qui a la forme d’une grande enceinte aux murs blancs, généralement refermée sur elle-même par l’absence de fenêtres. Apparu dans les années 1970, théorisé par Brian O’Doherty, il vise, par sa propreté et sa neutralité (hors du temps, hors de tout espace définissable), à supprimer tout contexte autour de l’art que l’on y montre. Il s’est depuis généralisé à tel point qu’il est aujourd’hui considéré par les galeries et les musées comme l’espace d’exposition par excellence (espace d’exposition des œuvres d’art spécifique qui s’est imposé dans les galeries et les musées, en Europe comme aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale), ce qui ne va pas sans susciter des critiques : en s’apparentant à un laboratoire aseptisé, il participerait à isoler et stériliser l’art contemporain.

Débat autour du white cube https://www.connaissancedesarts.com/monuments-patrimoine/faut-il-souhaiter-la-fin-du-white-cube-1115685/ et sur ce site.

Le white cube « Un modèle d’espace muséal où, à l’inverse des period rooms, les œuvres sont présentées de manière volontairement décontextualisée ». L’art une histoire d’expositions de Jérôme Glicenstein. Editions Presses Universitaires de France, 2009, page 29. https://doi.org/10.3917/puf.glice.2009.01

Brian O’Doherty, White Cube – L’espace de la galerie et son idéologie, éditions Presses du réel, 4ème édition, 2020 https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=1423

La première publication en français du livre fondateur Inside the White Cube, de Brian O’Doherty qui a nourri le travail de toute une génération d’artistes, de critiques, de curateurs, et inspiré la remise en cause des formes classiques de l’exposition.

Les quatre essais que Brian O’Doherty publia entre 1976 et 1981 et qui furent regroupés sous le titre collectif de Inside the White Cube. The Ideology of the Gallery Space constituent l’une des plus belles boîtes à outils dont disposent aujourd’hui artistes, critiques, curateurs et collectionneurs. Le « cube blanc » est ainsi devenu, à travers le monde, titre d’expositions, nom de galeries et l’un des topiques les plus répandus de l’art contemporain.
Si Brian O’Doherty identifie dans ces essais le cube blanc de la galerie comme pôle complémentaire du tableau moderniste, il développe également une véritable dramaturgie de la perception, où l’espace d’exposition est le laboratoire d’un art qui ne se conçoit plus sans sa relation au spectateur. L’auteur nous entraîne ainsi dans une histoire faite d’expériences, de gestes et de seuils, qui raconte « l’un des efforts les plus louables jamais déployés par la communauté artistique : la mise en question, concertée par toute une génération, à travers un foisonnement de styles, d’idées, de mouvements plus ou moins ébauchés, du contexte de son activité ».
Enrichi d’une postface véhémente publiée en 1986 et d’un cinquième essai qui en constitue la conclusion, From the Studio to the Cube (2007).

« La galerie idéale retranche de l’œuvre d’art tous les signaux interférant avec le fait qu’il s’agit d’ “art”. L’œuvre est isolée de tout ce qui pourrait nuire à son auto-évaluation. Cela donne à cet espace une présence qui est le propre des espaces où les conventions sont préservées par la répétition d’un système de valeurs clos. Quelque chose de la sacralité de l’église, du formalisme de la salle d’audience, de la mystique du laboratoire expérimental s’associe au design chic pour produire cette chose unique : une chambre d’esthétique. À l’intérieur de cette chambre, le champ magnétique perceptif est si puissant que s’il en sort, l’art peut déchoir jusqu’à un statut séculier. À l’inverse, les choses deviennent art dans cet espace où de puissantes idées de l’art se concentrent sur elles. […] La dimension sacramentelle de cet espace se révèle alors clairement, et avec elle l’une des grandes lois projectives du modernisme : à mesure que le modernisme [l’art moderne ?] vieillit, le contexte devient le contenu. En un singulier retournement, c’est l’objet introduit dans la galerie qui “encadre” la galerie et ses lois. »

Brian O’Doherty, « Notes sur l’espace de la galerie » (essais de 1976), in White Cube – L’espace de la galerie et son idéologie, p. 36.

Brian O’Doherty décrit les  accrochages à touche-touche : « chaque tableau était vu comme une entité autonome et se trouvait totalement isolé de son voisin de nuitée, à l’extérieur par un cadre massif, à l’intérieur par un système perspectif complet » Brian O’Doherty, « Notes sur l’espace de la galerie » (essais de 1976), in White Cube – L’espace de la galerie et son idéologie, p. 38.

« Le monde extérieur ne doit pas rentrer, donc les fenêtres sont généralement bouchées. Les murs sont peints en blanc. Le plafond devient la source de lumière. Le sol en bois est poli afin que les pas soient martelés de manière clinique, ou couverts de moquette afin qu’ils soient inaudibles et que les yeux puissent être libres de se concentrer sur les murs…»

Thomas McEvilley, « Introduction », dans Brian O’DohertyWhite Cube – L’espace de la galerie et son idéologie, Berkeley, University of California Press, 1976-1999, p.7-10

Questions possibles : 

– le support d’accrochage doit-il être neutre ou établir un dialogue entre leurs œuvres picturales et leur lieu d’accrochage ?

– le support d’accrochage influence la perception du spectateur, comment les artistes ou scénographes ou commissaires d’exposition en ont-ils joué ?

– La remarque de Brian O’Doherty sur l’accrochage des salons au XIXe siècle ne suggère-t-elle pas qu’une partie de la peinture moderne, en devenant visuellement de plus en plus autoréférentielle, est finalement devenue spatialement de moins en moins autonome, car de plus en plus soucieuse de son lieu d’accrochage, sa pleine appréciation étant sans doute en partie conditionnée par ce white cube ?

Exemple : le FRAC Lorraine à Metz

Décosterd et Rahm, associés, Peinture Placebo ©, 2001 / 2004 (source : https://www.fraclorraine.org/media/pdf/Transcription-du-texte-audio.pdf) Dans le cadre de leur agence d’architecture, active entre 1995 et 2005, Jean-Gilles Décosterd et Philippe Rahm ont développé des recherches physiologiques sur la lumière, le climat, la température, plus que sur la structure et la teneur même de l’architecture. Ils ont ainsi interrogé l’impact et l’influence de l’architecture sur le corps pour envisager une expérience psychosensorielle de l’espace. Pour Décosterd et Rahm, « il y a une interdépendance entre l’intérieur du corps, l’enveloppe du corps et l’extérieur ». Intéressés par le pouvoir de suggestion et de stimulation généré par le principe du placebo, une prescription dite sans principe actif mais susceptible de modifier le fonctionnement de l’organisme, Décosterd et Rahm établissent un protocole (réalisé pour la première fois au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris entre 2001 et 2002) qui consiste à « peindre les murs des locaux du FRAC avec une peinture blanche industrielle additionnée de dose infinitésimale de gingembre (pour le 1er étage) ou de fleur d’oranger (pour le deuxième étage) », suivant les termes du contrat. Incorporées mais invisibles et inodores, les fragrances auraient des propriétés aphrodisiaques pour l’une, des vertus apaisantes pour l’autre. Bien qu’impalpables, elles sèment le trouble et altèrent par la même ladite neutralité du white cube.Par les mots, le commentaire du cartel ou le contenu de la posologie, Décosterd et Rahm affichent leur présence englobante jusqu’à assumer et dévoiler leur réflexion sur les corollaires du placebo, son processus, par le choix d’un titre sans ambages. Il est alors question d’activer notre imaginaire et d’agir par extension sur nos corps, nos sensations. Insaisissable, l’œuvre est interne, elle est quasiment d’ordre hormonal.Pour reprendre les écrits de Guy Tortosa dans « Décosterd et Rahm, Physiological Architecture », nos corps deviennent alors « espace d’inscription » soit « un support de l’œuvre », et « espace de production » soit « un atelier ».

Vue de la première rétrospective en France consacrée à l’artiste d’origine turque Nil Yalter, en 2016 :

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